Des empreintes textiles

Des empreintes textiles

Dans le cœur des fils s’effiloche l’adieu de l’hirondelle.
Quand cesserons-nous de vouloir combler les chants de l’absence ?

Il avait gardé les petites manies d’une vie de peu. Il ne jetait rien. Il usait ses chaussettes jusqu’à ce qu’elles crient béance puis il les entreposait dans une cagette de bois détrempée. Il gardait les vieilles huiles de friture, les graines du tournesol, le pain trop dur, le riz collant sur la paroi des casseroles. Avec tout cela, il préparait une mixture qu’il laissait figer sur la fenêtre aux premiers frimas. Avant que le froid ne s’installe, c’est ce qu’il faisait. Il ravaudait les chaussettes puis il les remplissait de préparation graisseuse. Il passait un fil sur les chevilles de laine qu’il resserrait de façon à dégager une boucle. Cela formait de drôles de fruits sur les arbres, oscillant avec le vent comme le ventre d’une pendule.
Son plaisir en hiver était de s’installer sur la véranda immobile. Certains jours, il pouvait rester là des heures durant. Il attendait qu’ils reviennent.

*

Elle roule le drap précautionneusement pour découvrir ses jambes qu’elle lisse et masse dans le sens du fil. Sent dans la paume de sa main, la douceur de satin. Cette manie qu’il avait de l’attirer vers la langueur d’un matin gras. Elle sourit. Se renverse sur lui en prenant garde de ne pas froisser son corps. Se souvient. Les baisers sont l’hirondelle du matin disait-il. Elle place la manche de son bras sur son dos à elle et se blottit contre son torse immobile. Un instant, elle se garde enveloppée dans les ailes de ses manches aux bras légers pour accorder les petites chaleurs de peau à peau. Puis se redresse. Caresse le col. L’embrasse encore. L’une après l’autre, elle assoit ses jambes sur le lit, ajuste la chemise, reboutonne le col puis soulève son corps lourd amidonné. Prend appui, le retourne et installe son corps dans le fauteuil. Puis elle prend le journal et lui lit à voix haute les nouvelles de ce jour. Repousse ce jour encore la lecture des catastrophes.

Elle roule le drap précautionneusement pour découvrir ses jambes. Caresse du fil. Douceur de satin. Cette manie. Elle sourit. Dans la langueur d’un matin gras, elle se renverse. Prend garde de ne pas froisser les baisers d’hirondelle. Un instant, la manche se blottit sur son corps. Petites ailes aux bras légers. Petites chaleurs de peau. Elle reboutonne les draps lourds amidonnés. Se retourne et s’installe dans le fauteuil. Lit à voix haute les catastrophes de ce jour.

*

LNG159A nage en plein océan, disséminant ses fils sans retenue. LNG159A est aussi léger que le plancton, absorbable et fluide. LNG159A ne déteint pas au lavage et résiste bien aux attaques gastriques. LNG159A est de conception durable.
LNG159A recherche la compagnie des vivants. Se souvient-il encore d’avoir eu un jour dix pour cent de fibres d’alpaga? Dans une autre vie, LNG159A était un gilet couleur grise. Désormais informe, LNG159A est devenu prédateur exclusivement plastique. Ses longues fibres surnagent sur le ventre de l’océan à la manière d’une méduses aux filaments gris. LNG159A sent autour de lui frémir la chaleur des vivants. Il s’étend langoureusement pour les attirer à lui. Dans le ciel, un goéland passe puis pique vers la surface de l’eau. LNG159A est saisi. Ce n’est pas son premier voyage ni sa première mutation. LNG159A tombe dans le bec d’un petit goéland qui l’absorbe goulûment. LNG159A polymérise. Il stagne et s’agglutine avec d’autres en un enchevêtrement plastique compact qui obstrue le petit ventre du goéland. LNG159A aime la compagnie des vivants. Le petit goéland crie de faim mais ne peut rien avaler. Quand il boit, LNG159A flotte et percute la chair des parois mais il ne se dissout pas.
LNG159A attend son heure. Le goéland mort, sa carcasse se déplume et s’ouvre comme la corolle d’une fleur d’anémone. LNG159A est de nature sociale. A l’air libre, il se sent seul. Il attend que la pluie vienne et l’emmène rejoindre les fluides marins.
Il peut attendre longtemps.
LNG159A est immortel.

*

Son grand-père gardait les vieux vêtements pour Alfonse. Les chemises informes délavées, les pantalons déchirés, les foulards démodés et les bottes trouées… Alfonse n’était pas très regardant côté vestimentaire. Nino se souvient qu’une fois, ils l’avaient affublé d’une robe chasuble orange vif, d’un chemisier à fleurs et de collants turquoise. Cette année-là, Alfonse était devenue Alfonsine, l’année suivante, il était redevenu Alfonse, pantalon de toile bleu, chemise à carreaux déchirée, chapeau de paille et grosses bottes en caoutchouc. Alfonsine n’impressionnait pas assez les corneilles, selon les dires du grand-père. Une autre année pour plaisanter, Nino avait déguisé Alfonse en lui rajoutant un casque sur la tête, de grosses lunettes noires et une guirlande de CD autour du cou. Constatant qu’aucune corneille ne venait se servir dans le cerisier, Grand-père avait jugé que les CD étaient un accessoire dissuasif, capable d’intégrer la garde-robe d’Alfonse.
Nino avait essayé de refaire vivre Alfonse. Au printemps, il avait dressé des piquets en croix au fond du jardin et il avait cherché de la paille dans une ferme de la région. Avec l’aide des enfants, il avait ficelé les brins sur les piquets de façon à faire apparaître la forme d’un corps. Ils lui avaient enfilé une vieille chemise à carreaux, un pantalon de toile bleu, un chapeau de paille et de grosses bottes en caoutchouc dénichées sur un site de vêtements d’occasion. Alfonse trônait face au cerisier, avec son collier de CD qui envoyait ses rayons jusque sur les vitres du salon.
Les enfants venaient régulièrement rajouter un nouvel accessoire à Alfonse. Alfonse avait ainsi hérité d’une épée en plastique, de genouillères de skate, d’une ombrelle pour le soleil et d’un imperméable lorsqu’il pleuvait. Cela apportait une certaine animation dans la quartier. Les passants s’arrêtaient pour prendre des photos et les voisins venaient discuter par-delà la clôture. Tout le monde s’accordait à dire que c’était une belle initiative.
Nino aurait aimé se sentir joyeux.
Quand il regardait par la fenêtre du salon les CD briller au soleil, cela le rendait bizarrement triste. Alfonse ouvrait ses bras d’un geste pathétique.
Cela faisait bien longtemps qu’il n’y avait plus l’ombre d’une corneille à écarter du cerisier.

*

En hiver, les gens tricotaient de long serpents de laine avec les vieux gilets. Au printemps, ils venaient envelopper les troncs de serpents chamarrés. Les gens venaient avec toutes sortes d’instruments. Ils s’installaient au pied des arbres et jouaient des nuits entières. Ils disaient que cela faisait revenir les oiseaux. C’est ce qu’on m’a raconté. Les premières à revenir étaient les grives. Ensuite venaient les loriots, les merles et les rouge-queues. Ils installaient leurs nids dans l’entrelacs laineux des troncs chamarrés. Les oiseaux réveillaient les arbres de leur torpeur hivernale. Des chants naissaient les bourgeons, des bourgeons naissaient les fruits, des fruits naissaient les festins de l’été.
Un arbre qui n’était pas honoré se figeait dans un sommeil de grisaille, stérile et sans rêve. Et finissait par devenir lui même gris, stérile et sans rêve. C’est ce qu’on disait.
Je pensais que la coutume s’était perdue avec la disparation des oiseaux.
Pendant la crise, j’ai vu refleurir des mitaines sur les poteaux électriques. Je n’ai pas fait tout de suite le lien, au début à vrai dire, j’avais la tête ailleurs. On bloquait les incinérateurs, les autoroutes, les centrales nucléaires, on démontait les grilles et on cassait les barrages. Il y en a eu un puis chaque jour un autre. Ces poteaux endimanchés, c’est devenu viral à force. Les gens en parlaient. Ils se sont mis à garder les restes de laines. Le soir, celles qui savaient y faire apprenaient aux autres. D’autres poteaux ont été recouverts. Ces couleurs, qui intégraient nos luttes c’est comme si elles retricotaient pour nous des présences oubliées.
Le geste qui honore fera-t-il remonter la sève dans les troncs de métal ? A ce moment-là, y a-t-il une chance pour que les oiseaux reviennent ?

*

On avait perdu sa trace. Le monde a tellement changé que voulez-vous  ? Certains ont réussi à s’adapter c’est vrai c’est vrai, mais combien d’autres… on ne sait pas ce qu’ils sont devenus. On est plusieurs… on est une communauté de gens passionnés. A force de suivre leurs traces, on tombe sur des individus, parfois des colonies entières… là, j’avoue on est heureux. On se dit qu’il y a encore de l’espoir.
Je suis tombé sur cette photo par hasard. C’était juste une décharge abandonnée comme on en voit partout sur la planète en ce moment mais dans le coin, là vous voyez ? Cet amas de déchets bleu turquoise, vous le voyez ? Si je zoome un peu plus, là, regardez, le bouchon, les capsules, la fourchette en plastique, le foulard, les chaussettes de laine… a priori rien de spécial sauf leur couleur. Tout ce qui est là est bleu turquoise. Il pourrait s’agir d’une coïncidence, d’une manie de chiffonnier sauf que si vous déplacez un peu la molette sur la gauche en zoomant… vous voyez cette espèce d’arche qui s’élève ? L’enchevêtrement de câbles électriques, là ? C’est lui, j’en suis sûr, c’est sa marque de fabrique. Le jardinier satiné construit son nid sur le sol en forme de berceau. Traditionnellement, il construit l’arche avec des brindilles de bois mais où voulez-vous qu’il trouve des brindilles ici ? Il a pris ce qui lui tombait sur le bec.
Le jardinier satiné, oui, tenez je vous montre des photos d’avant, c’est lui, là. C’est un oiseau incroyable !
Une fois qu’il a construit son arche, il rassemble autour du nid, des objets pour attirer la femelle. La femelle a les yeux bleu turquoise, alors pour lui plaire, il sélectionne des objets de la même couleur que ses yeux. Vous voyez l’intensité de ce bleu ? Une fois qu’on l’a repéré, on ne voit plus rien d’autre.
La photo date de plusieurs mois… J’ai essayé de contacter la personne qui l’a prise mais elle n’est plus sur le terrain depuis longtemps. C’est pour cela qu’il faut absolument que j’y aille.
Je veux aller voir ce qu’il en est. S’il est encore là sur la décharge.
Peut-être a-t-il réussi à attirer une femelle et dans ce cas…
la promesse de ce bleu est incroyable, vous ne trouvez pas ?

*

Les enfants se taisent. Un seul geste, ils savent.
Il ne viendra pas. Du reste ils ne savent rien. Aucun d’entre eux ici présents ne sait ce qui se passe quand l’air répercute le sifflement d’une aile qui s’élance. Ici présents, sont nés à l’ombre d’arbres silencieux qui ne sont plus même des arbres. Ici présents les enfants se taisent bien trop souvent, leurs bouches recouvertes d’un bec de tissu pâle qui bande la plaie du silence. Viendra-t-il aujourd’hui sauver les rêves de l’année à venir ?
Une enfant dira, il m’a enjambé je l’ai senti j’ai senti ses ailes me frôler. Sa parole restera sans écho. Personne ne voudrait croire qu’il puisse seulement arriver. L’oiseau apparaît, c’est tout.
Il est là au milieu de la place, les ailes repliées sur lui-même. Il est là.
J’ai vu ses plumes frémir, quelqu’un dira, il tournait tellement doucement sur lui-même, c’était une spirale de feu c’était un tourbillon d’eau c’était un œuf aux couleurs de l’arc-en-ciel, quelqu’un dira as-tu déjà seulement vu un œuf ? il y aura du silence ensuite.
L’oiseau tourne sur lui-même de plus en plus vite puis d’un coup s’arrête et gonfle ses ailes imperceptiblement. La place bourgeonnait de vertiges, quelqu’un dira, c’est comme si l’espace s’était mis à tourner lui aussi. L’oiseau a toujours la tête repliée dans ses ailes jusqu’à ce que tout à coup. J’ai vu son bec noir j’ai vu ses yeux rouges j’ai vu sa barbe soyeuse j’ai vu comme il me regardait, quelqu’un dira, son bec était quand même un peu effrayant, non ? Un enfant se met à pleurer. L’oiseau tourne la tête. Son bec ronge l’épaisseur du silence. L’enfant sanglote, l’oiseau s’immobilise. J’ai eu peur qu’il ne s’enfuit, quelqu’un dira peut-il venir ensuite lacérer la nuit nos visages endormis ? Mais l’oiseau s’approche doucement de l’enfant. Il couche la tête sur le côté, cache le crochet de son bec noir dans le duvet turquoise de ses épaules. L’enfant ne sanglote plus. L’oiseau gonfle sa collerette de plumes bleu et lentement il ouvre ses ailes. Ces ailes c’était… comment dire, quelqu’un dira il y a des choses qui ne se disent pas ailleurs que dans son propre cœur.
L’oiseau bat des ailes et c’est comme si le ciel chutait riant sur le sol. C’est de la magie, ce ciel qui se renverse, quelqu’un dira, à cet instant le ciel a fait de nous des oiseaux.
L’oiseau fait le tour de la place, battant des ailes. Son cou avance et puis recule, martelant l’espace de petits coups de bec nerveux. C’est comme s’il déchirait le bâillon invisible de l’air, chaque assaut de son bec fait sourdre des jets sonores qu’il recrache autour de lui. C’est monté comme le vent quand il s’énerve et commence à siffler, quelqu’un dira c’est entré à l’intérieur de moi comme un grand tourbillon, à l’intérieur de moi tout s’est mis à danser comme si j’étais le ciel pris dans le chant d’un oiseau, c’est beau quelqu’un dira. C’est comme si tes mots faisaient revenir l’oiseau parmi nous.
Personne n’a vraiment vu quand il est parti. Le sol rejoignait le ciel en une épaisse nuée. L’instant d’avant, l’oiseau sautillait sur la place en agitant frénétiquement ses ailes. Il faisait battre le cœur de la poussière. Quelqu’un dira, c’est comme si nous étions devenus aveugles, comme si nos yeux avaient migré partout ailleurs sur notre peau. L’air vrombit et puis se tut, quelqu’un dira, c’est comme si en un instant, le monde avait chaviré.
Le silence goutte en fines larmes de poussière sur les paupières immobiles. Les yeux sont gris, les yeux sont turquoise, les yeux s’emplissent du bleu qui tombe du ciel. Les enfants sautillent, ils agitent leurs bras pour essayer d’attraper la plume qui virevolte au-dessus de leurs têtes. Ils font comme l’oiseau dit quelqu’un, ils ouvrent leurs ailes. La plume atterrit sur les rémiges d’une toute petite main qui se tend et se crispe en poussant des cris joyeux. Quelqu’un dit, il est là, l’entendez-vous? entendez-vous persister dans l’air le chant de l’oiseau? Sur la place, les gorges frémissent de mots turquoise. Quelqu’un dit, et si l’oiseau nous demandait de le rejoindre?

Myriam Sonzogni
juin 2023

Dans la forêt de loques

Dans la forêt de loques

On entendrait la lune laper la rosée dans le creux des écorces. La forêt exhale une humeur de linge détrempé, entraînant le nez dans un vertige olfactif entre moisi, rance, odeur de sueur et de terre, parfums de décomposition. Le noisetier, le bouleau, l’orme, tous trois courbent sous les bourgeons de tissu. Le vent frotte et balance les vêtements suspendus. Les arbres retiennent leur souffle. Tout à coup dans la clarté langoureuse, une branche craque, la lune sursaute. Un corps s’avance, lourd, impatient. Odeur de boue, de merde et de sueur fétide. Le sol se cabre sous le groin qui furète et s’approche, le bouleau frémit. A l’extrémité d’une de ses branches, balance un pull rouge sombre à capuche. L’animal fouille, piaffe et éructe. Enroulé sur la branche, le pull attend, immobile. Quelques pas encore, la bête s’empêtre. Cornes piégées, rouge la laine, le pull s’intronise coiffe. La tête secoue, s’emmêle, le piège se referme. La bête tire, l’autre s’agrippe, tire encore, la branche craque, le pull chevauche l’animal et l’enserre. D’avant en arrière, de gauche à droite, groin contre terre, racle, piaffe et éructe, la nuit s’ébroue furieusement. La bête aveuglée rue, couine et choque le tronc de l’orme. Se frotte, piaffe et éructe. La lune se déchire dans un long cri de laine. Quelques gouttes de sang tombent sur le sol, l’orme rougeoie. La bête tire encore, grogne encore, se frotte encore jusqu’à extirper son museau du marécage de la brume. Capuche au sol, inanimé, le pull s’effiloche en longues mailles de sang. L’orme se redresse. Le corps s’éloigne, une branche craque, le silence revient. Au loin, on entend sonner la cloche d’un matin.

Les arbres se rendorment, chargés d’étoffes et de peines.

*

Vous parlez de la forêt de loques près de la route départementale ? Sûr, je passe devant, j’y passe pour aller au boulot, alors oui, je vois tout ça oui. Je les vois moi depuis la route, ces gens qui viennent accrocher leurs loques sur les arbres. Moi, pour tout vous dire, ça me dépasse. Qu’il suffirait d’accrocher sa loque sur l’arbre pour faire guérir ses proches… Franchement, vous y croyez vous à ce genre de superstitions ? C’est des croyances de bonne femme tout ça. Ça fait soixante ans que j’habite ici, croyez-moi si le coin était spécial, je le saurais. Ma femme est morte d’un cancer il y a dix ans. Vous pensez que j’aurais été mettre sa chemise de nuit sur un arbre ? Pour quoi faire ? Pour que ma femme grelotte toute nue sur son lit d’hôpital ?

Je n’ai pas de temps à perdre avec ces sornettes.

Moi tout ce que je peux en dire c’est que si j’étais le maire, je ferai disparaître tout ça vite fait bien fait.

Faut penser à l’image qu’on donne, toutes ces loques qui pendent aux arbres, ça fait mauvais genre, franchement, vous trouvez pas ?

*

Je n’ai pas beaucoup de temps, désolé. La luzerne, elle se fauchera pas toute seule. Si vous voulez discuter, allez voir ma femme, la ferme est plus loin sur la gauche. Si elle est dans un bon jour, elle vous répondra, sinon faudra voir ailleurs.

*

Il exagère toujours. Il sait que j’aime bien parler alors c’est pour ça qu’il vous envoie, pour avoir la paix quand il rentre. C’est un fichu taiseux, il n’a jamais quitté sa campagne. Moi, j’ai grandi à la ville plus loin, c’était une autre vie. Je dis pas que je m’ennuie…. mais depuis que les enfants sont partis… ça fait bizarre parfois. Qu’est-ce que vous voulez savoir au juste ?

La petite forêt à côté du pré ? Je n’y vais pas trop, c’est surtout mon mari qui s’occupe du pré. Au début je pensais que c’était un campement comme on en voit plus loin à côté de la frontière. Je me suis dit, ben là maintenant, ça vient chez nous, c’est sûr, qu’est-ce qu’on peut y faire ? Ces gens-là, c’est comme le vent, ça passe, ça remue, ça enlève, ça déplace sans cesse la poussière autour d’eux.

Je parle en connaissance de cause… mais entrez donc, je vous prépare un café ou une tisane, qu’est-ce que vous voulez? Vous voulez une part de gâteau ? Il m’en reste une part d’hier… Oui, pour revenir à cette histoire, c’était quand ? Il y a six semaines, je crois.. je me souviens, la veille il avait plu, la cour était boueuse, le matin, j’ai vu des traces de pas qui se dirigeaient vers le poulailler. Ils m’ont laissé deux œufs, je n’ai pas su s’ils avaient pris des tomates dans le jardin.

La deuxième fois, le chien a dû les sentir car il a aboyé, je dirais quoi, vers dix-onze heures ? Parfois ça lui prend pour une biche, un lapin… on ne se lève pas à chaque fois, sinon on se rendrait fous. Le lendemain, j’ai vu d’autres traces dans la cour. Des grandes et des petites. Cette fois-ci, les pas se dirigeaient vers la grange. Je pense qu’ils ont dormi là puis qu’ils sont repartis avant le lever du jour. Il me manquait une poule en plus des œufs.

Depuis, la nuit, je suis aux aguets. Au moindre bruit, je me lève et je vais voir à la fenêtre. Je ne pense pas qu’ils soient revenus mais bon, difficile de savoir. En ce moment, le sol est trop sec pour qu’on puisse voir la moindre trace de pas au matin.

Mon cousin m’a dit de mettre une caméra, mon mari n’est pas chaud mais bon, s’ils continuent à passer, on fait quoi ? A la radio, ils disent qu’il en arrive de plus en plus avec les poches remplies de sable et de cendres. Des semences de mauvais augure qu’ils disent, faudrait pas trop qu’ils s’installent et ruinent nos champs de fourrage, comment on ferait nous, après ? Pour l’instant c’est que des œufs, une poule mais après ? Qu’est-ce qu’ils prendront après ça ?

C’est pas simple cette question… Parfois je me dis, comment repousser les ombres lorsque celles-ci marchent d’un pied si léger sur le sol ?

*

La lumière s’égoutte en confettis jaunes sur la trame des vêtements suspendus. Sous l’orme qui le soutient, le petit pyjama bleu à rayures n’est pas seul. Une forme veille, immobile comme un début de montagne. Le pyjama bleu balance. Le vent frissonne le voile recouvrant le corps agenouillé. C’est une femme. Mains jointes, elle psalmodie, berçant ses lèvres sur un rayon de lumière. L’orme se penche. Le vent gonfle le pyjama bleu. Dans la clarté, un enfant apparaît, suspendu. La femme tend ses bras, caresse le petit ventre de coton d’un geste bleu, rayé, suppliant. La branche de l’orme frémit. Le vent retombe. Le pyjama se languit. La femme referme ses bras. Sur le sol, une montagne s’affaisse, recouverte d’un grand voile bleu lavande.

L’orme se détourne.

La clarté pleure.

*

Je ne passe plus par la forêt. Je sais c’est plus court par là mais je n’y passe plus c’est tout. Ce n’est pas seulement une question de temps, je vous dis, c’est juste que bon, je ne sais pas pourquoi vous insistez autant. On voit bien que vous n’êtes pas du village, vous. Vous pensez qu’ici les gens répondent aux questions qu’on leur pose ?

*

Excusez-mon retard, c’est à cause des travaux, ça m’a fait perdre du temps sur la route. Que voulez-vous savoir au juste ? Ce bois est dans notre famille depuis quatre générations. Mon mari en a défriché une partie pour pouvoir mettre des prés en fermage. Cette partie-là, bien sûr on ne pouvait pas y toucher alors on l’a laissée telle quelle. Il y avait un vieil orme, il datait de 1857, on a dû le couper il y a dix ans, à cause de la graphiose. Ça m’a arraché le cœur. Du coup, j’en ai replanté un autre, il y a cinq ans. J’espère qu’il arrivera à grandir avec toutes les loques que les gens viennent y mettre. Les arbres étouffent mais qu’est-ce qu’on peut y faire ?

Les croyances c’est comme le lierre. Plus on essaie de les couper, plus elles reviennent s’accrocher. J’en ai pris mon parti. Si ça peut faire du bien aux gens, par les temps qui courent, c’est déjà ça de gagné…

Si vous voulez davantage de renseignements, vous devriez aller interroger l’ancienne postière. Elle en connait long sur l’histoire de Sainte Marthe.

*

La forêt grelotte. L’orme, le noisetier, le bouleau ploient, leurs feuillages ruissellent. L’averse remplit les poches, engorge les cols, inonde les manches. Au pied du bouleau, dans une flaque sombre, un chemisier rose se noie. Plus loin, un peignoir gris s’affaisse, entraînant avec lui une branche du noisetier. Les prières s’égouttent en lourds sanglots de larmes sur le sol. Elles disparaissent sous la terre, avalées par les racines des arbres ou courent au loin rejoindre le lit de la rivière. Là où se dresse l’oratoire. Minuscule chapelle de pierre, toit en ardoise. A l’intérieur, protégée par des grilles, une statue de bois trône. La sainte est debout, les mains en prière, de longs cheveux noirs corbeau tombant sur ses épaules. Elle porte une robe couleur lavande. Son regard oblique est tourné vers les messages de marbre accrochés au mur de l’oratoire. Reconnaissance mon fils encore en vie merci ma sœur marche à nouveau merci je tiens mon enfant dans les bras merci sans toi les ténèbres merci tu es dans notre cœur.

*

Jusque dans les années cinquante, on la sortait chaque hiver pour la faire défiler dans les rues du village. On disait que la statue de la sainte purifiait l’air de ses miasmes. On pensait le geste perdu mais, depuis la crise sanitaire, la tradition refleurit. La sainte a été sortie deux fois l’an passé, trois fois l’année d’avant. Il y a des photos dans le journal de la commune.

Les loques, initialement, c’est autre chose. Cela remonte à l’époque des druides. On a retrouvé des poteries figurant des arbres chargés d’objets et d’étoffes. Si ça vous intéresse, allez voir à Lille au musée archéologique. La tradition des loques, le culte de la sainte, ici, tout cela s’est emmêlé. Cela vient comme une évidence… Marthe a toujours été considérée comme une force bienfaitrice veillant sur les corps et sur les âmes, alors, de là à lui confier les loques…

Ce que je peux vous dire d’elle ? Marthe était une jeune fille noble, née vers 1350 et mariée à un seigneur d’ici. Elle a mis au monde un bébé qui a été exposé près de la source, à l’endroit de la chapelle. Les enfants dont on ne voulait pas, ceux qui naissaient illégitimes ou porteurs de handicap étaient exposés c’est-à-dire confiés à la grâce de Dieu. Plus concrètement, ils étaient condamnés à mourir de faim, de soif ou à être dévorés par les loups. On dit que Marthe n’a pas supporté la perte de son enfant et qu’elle s’est enfuie du château pour venir s’installer ici, près de la source. Elle y est restée jusqu’à sa mort vers 1385.

Déjà à l’époque, les gens la considéraient comme une sainte. Ils venaient, parfois de loin, quérir sa bénédiction. Ils disaient que la sainte accomplissait des miracles, qu’elle guérissait les grands malades, chassait les épidémies ou protégeait les femmes lors des accouchements. En échange, ils lui apportaient des dons, de la nourriture et des vêtements. Lorsqu’elle est morte, une chapelle a été construite pour accueillir son corps. En 1903, Marthe a été canonisée et son culte est devenu officiel.

Je ne sais pas à quel moment les gens ont associé la tradition des loques au culte de la sainte. C’est venu tard. Les gens accrochent les vêtements aux arbres et puis ils vont prier la sainte, plus loin, à la chapelle. On dit qu’il faut que le vêtement ait été mis en contact, neuf jours durant, avec la partie infectée du corps des malades. Lorsque l’habit tombe à terre, c’est signe que le vœu a été exaucé. Cela peut prendre des mois bien sûr… les gens reviennent remercier la sainte lorsque leur malade guérit. Vous avez lu les ex-voto accrochés sur l’oratoire ?

*

Moi, j’y crois. Comment expliquez-vous sinon que la peste de 1499 ait touché tous les villages alentours sauf celui-ci ? En 1919, Wifreux est le seul village à avoir été épargné de la grippe espagnole. Tenez, plus proche de nous, le Covid… personne ici n’a eu le Covid, personne n’est mort, personne n’a été hospitalisé. Tenez, moi j’ai jamais été vacciné, je suis jamais tombé malade, c’est une preuve, non ?

Ici, je me sens protégé. C’est pour ça que je reste ici. Quand j’étais jeune, il m’arrivait de voyager en France ou ailleurs. En 1982, j’ai fait mon service militaire en Côte d’Ivoire et vous savez quoi ? j’ai attrapé le palu. En 1988, c’est en Espagne, on était partis en vacances, ma femme et moi et j’ai dû être opéré en urgence d’une appendicite aigüe… Tiens, encore une anecdote, en 1990, j’étais en Angleterre pour le travail, ça a pas loupé, je me suis chopé une pneumonie. Dès que je m’éloigne, il m’arrive un truc… ça veut bien dire qu’ici c’est spécial, non ?

Ici, une force qui nous protège, pour moi, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. Alors oui, ça ne m’étonne pas que les gens arrivent de loin pour faire guérir leurs malades. Vous avez été voir la chapelle ? Si les gens reviennent remercier la sainte, c’est bien que ça a fonctionné, vous ne croyez pas ?

Je n’ai pas bien compris, pour quel journal travaillez-vous exactement ?

*

Sur la branche immobile, le foulard s’alanguit, réverbérant une lumière bleue autour de lui. Le vent frôle, le vent caresse, le vent berce, le vent réconforte et entraine. L’un après l’autre, les fils de soie s’extraient du bois, le foulard glisse, libre de toute amarre.Délicatement, le vent le prend, le détache et le dépose au sol.

La terre, recouverte d’un tapis de lavande, répond à l’appel du ciel au-dessus d’elle.

Quelle prière au loin est exaucée ?

*

Ce que je pense moi ? On nage en plein délire franchement… Sur les réseaux, ils disent comme quoi la sainte reviendrait ici nous prévenir des grandes catastrophes. Faut arrêter ces délires franchement. C’est quand le débarquement des extra-terrestres ? houhou revenez sur terre !

Je savais que les gens étaient tarés, mais à ce point ?

Y a un groupe qui se réunit tous les vendredis soirs à la chapelle pour prier, je sais de quoi je parle, ma sœur en fait partie. Feraient mieux de rester chez eux avec leurs proches, seraient plus utiles au moins. Franchement, y z’imaginent quoi ? Que la sainte va leur apparaître pour leur faire un topo de la situation ? Qu’elle sortira sa petite baguette magique pour les mettre à l’abri ? De toutes façons, on va finir cramés, irradiés ou suicidés… A moins qu’on se prenne une bombe sur la tête avant…

Alors moi, la sainte, ce que j’en pense…

*

Votre malade va mieux ? Excusez-moi, c’est juste que je pensais que. C’est la troisième fois que je vous vois ici dans le bois. C’est pas si fréquent qu’il y ait des gens dans le bois aux heures où j’y suis. Quand je vous ai vue hier allongée sur le sol, j’ai failli vous aborder mais je n’ai pas osé, vous allez bien ? Excusez-moi, je suis maladroite, forcément quand ont vient ici c’est que… enfin on ne vient pas ici pour rien.

Moi je viens pour ma nièce.

Le caraco blanc sur l’arbre, c’est à elle. Cela fait déjà un mois, je viens ici tous les jours.

Je préfère venir tôt, je voudrais pas que ma famille me voie ici. Ils sont tous un peu… enfin ils ne croient pas à ce genre de choses surtout ma sœur… Elle le prendrait mal, elle me dirait, occupe-toi déjà de ton salut, c’est ce qu’elle dirait. Je veux pas la contrarier surtout en ce moment. Je vois bien qu’elle s’inquiète pour sa fille. Je le vois rien qu’à sa façon de ne pas en parler. Comme si on ne savait pas que Maureen était à l’hôpital. Maureen c’est ma nièce. Elle a seize ans. Personne ne sait vraiment ce qu’elle a, si c’est dans la tête ou dans le corps. Elle reste allongée des jours entiers dans sa chambre, elle ne mange rien, pleure beaucoup, se plaint d’avoir froid même en été. On pensait tous que c’était l’adolescence, un mal d’amour, une petite crise passagère mais ça fait déjà six mois. La semaine dernière, elle s’est mise à avoir des plaques rouges sur le corps, très purulentes. Et surtout, elle n’arrive plus à marcher. Le médecin l’a envoyée à l’hôpital faire des analyses mais ils ne trouvent rien. Ils disent que c’est sans doute psychologique… paraît qu’il y en a beaucoup en ce moment, de plus en plus à ce qu’ils disent. Des gens qui sont malades de la vie qu’ils mènent. Ça fait peur quand on y pense, tout ce qu’on nous annonce pour l’avenir…

Mais, qu’est-ce qui se passe ? vous pleurez ? Je suis désolée, je ne voulais pas… attendez, ne partez pas, s’il vous plait… revenez…Vous oubliez votre foulard, là près de l’arbre…

*

Le ventre du sous-bois gargouille. La forêt craque, les feuilles se froissent, l’ombre glapit. Sur la cime du bouleau, une chouette hulule et puis se tait. La femme est agenouillée près de l’orme, les mains jointes. Ses cheveux noirs tressés bombent son voile. Un chant doux s’élève, porté par le silence du vent. On le croirait venu de très loin, comme l’écho d’une berceuse ancienne aux paroles oubliées. Le chant pénètre les étoffes, réchauffe les points de nouage. Le cœur des loques frémit.

La femme reste un moment dans l’ombre, agenouillée les lèvres resserrées, puis elle se redresse doucement, pose une dernière fois la main sur l’orme, rajuste son voile et s’éloigne vers la rivière.

Un petit pyjama bleu glisse à terre dans un mouvement imperceptible. Le silence sourit.

La nuit s’accomplit.

Myriam Sonzogni
juin 2023

Arrêtez le flux s’il vous plait, arrêtons-nous.

Arrêtez le flux s’il vous plait, arrêtons-nous.

Mon père est enterré avec son frère dans le cimetière du village où je suis née. Sur la tombe, il y a le
nom de mon père, celui de mon oncle mais il n’y a pas de photos. Deux noms, quatre dates et sur le
marbre, une colombe de mosaïque inspirée d’un dessin de Picasso. La paix.
Je ne vais pas souvent sur la tombe.
L’important c’est qu’il y ait un lieu. Et qu’on puisse aller s’y recueillir en pensées ou au détour d’une
balade familiale. Les cendres du père, ceux de l’oncle sont ici. Il y a leurs noms quelque part.
Ce n’est pas qu’une histoire de croyance.
C’est d’avoir un endroit pour pouvoir réaliser leur absence.

*

On dit : des morts par centaines ; On dit des morts par milliers. On dit des morts par dizaine de
milliers. De jour en jour les curseurs s’emballent. Quand arrêterons-nous de compter les morts ?

*

Dans la vraie vie, les chiffres étaient vivants. Les chiffres avaient une odeur, un rire, un timbre de
voix particulier et une langue bien à eux. Les chiffres se tenaient droits ou avançaient le dos voûté.
Ils priaient le vendredi à la mosquée ou ne priaient pas. Allaient à la synagogue le samedi ou n’y
allaient pas. Les chiffres dansaient. Il arrivait qu’ils dansent. Les chiffres pleuraient. Il arrivait qu’ils
pleurent. Les chiffres étaient petits, les chiffres étaient grands, les chiffres allaient par familles
entières dans une continuité logique. Le 10 était plus petit que le 15 qui était plus petit que le 30. Le
80 devançait le 70 qui devançait le 50. Le 5 courait sur la plage, nageait dans la piscine et mangeait
une glace au chocolat. Son menton dégoulinait de crème, ses mains étaient poisseuses et il les
essuyait sur le revers de son habit du dimanche.
Dans la vraie vie, les chiffres n’étaient pas seulement des chiffres. Ils étaient aimés jusqu’au rebours
du temps et quand sonnait l’heure du départ, on confiait leurs âmes à la protection des cimetières. On
les enveloppait de prières et de chants et on inscrivait leurs noms sur le marbre.
On savait qu’il y avait un endroit de mémoire.
Les noms n’étaient pas oubliés.

*

Le silence des noms court dans le ventre des machines. Des dizaines de milliers de signes sur le
tableur. Chaque jour, un nouveau signe apparaît, aussitôt effacé. Nous ne cessons de regarder les
écrans, tentant de saisir ce qui s’échappe. Tout va trop vite. Nous n’imprimons plus rien.
La vie la mort, tout s’enchaine désormais au rythme du flux numérique.
Y a-t-il encore une main humaine sur le bouton des mitrailles ?

*

Il n’y a plus assez de place sur le marbre. Plus de pages dans les carnets. Plus aucun registre. Plus de
murs disponibles. Il n’y a plus de pancartes. Plus de voiles. Plus de banderoles vierges. Il n’y a plus
d’ardoise. Plus de tableaux blancs. Plus d’affichage. Plus aucun endroit.
Il reste les corps. Les mères écrivent le nom des enfants sur leur peau. Que reste-t-il après les
corps ?
Nos mémoires sont en sursis.Il n’y a plus de surface, plus de plaque, plus de pierre à graver.
Il n’y a plus de cimetière.
La vie exige son poids de pierre, May, et l’amour aussi. Je lis Abbas Beydoun.
Où écrire les noms des disparus ?

*

Sur la page instagram du mémorial, il y a une colombe. La jumelle de celle gravée sur la tombe de
mon père sauf que celle-ci est rouge-blanc-vert. Je clique. Sur la page noire, des noms apparaissent
serrés sur quatre colonnes. Quand je me rends au cimetière, je m’arrête devant les tombes pour lire
les noms à voix haute. C’est une manière comme une autre d’honorer leur silence. Sur l’écran, des
noms, il y en trop. Ils sont tellement petits ces noms qu’il faudrait pouvoir zoomer pour les faire
grandir sur l’écran. Quand je me rends au cimetière, je calcule l’écart entre les dates pour mesurer la
durée de vie des personnes enterrées. Ici les chiffres sont si faibles qu’ils semblent irréels. Parfois il
reste une marge que le curseur traduit par un signe mathématique : < plus petit que.
Les pages défilent sans s’arrêter. Elles tournent en boucle. Je tente une capture. Je zoome. Je lis des
noms au hasard.

Quatre déclinaisons, parfois cinq, accrochées ensemble, serré-serré. Le nom de l’enfant est pris dans
la généalogie des pères. Comme un espoir de protection. Ma sœur va sur la tombe du grand-père à
Tunis. Je vais sur la tombe du père en Alsace. Leurs noms gravés sur la pierre nous garantissent le
lieu d’une mémoire. Ailleurs, le nom des pères a explosé. La pierre a failli.
Les noms continuent de défiler à l’écran.
Pour peu qu’une bombe fasse exploser mon écran, les noms continueraient à défiler. Les noms sont
garantis par les nuages. Des lignées fantômes défilent en continu sur les écrans, hébergées par les
clouds numériques.

*

Au moment où j’écris ces lignes, la bande de Gaza est en train d’être détruite par les bombes.
L’archipel de Tuvalu est en passe d’être submergé par la mer. Ces deux informations n’ont rien à
voir l’une avec l’autre et pourtant, elles m’intègrent dans une même temporalité numérique.Toutes
deux sont l’image d’un désastre à origine humaine. Actant de l’insuffisance des efforts entrepris pour
arrêter la catastrophe, les autorités du Tuvalu ont commencé à répliquer leur archipel dans le
métavers pour, disent-elles, « que l’on sache quelque part qu’il y a eu un pays appelé Tuvalu. »1 A
Gaza, en Israël, les gens ont commencé à confier au cloud les noms et les visages des disparus pour
que l’on sache combien les morts étaient vivants avant de n’être plus rien que des chiffres sur une
dépêche d’AFP. Le métavers serait-il l’ultime refuge d’une mémoire apatride?

*

Les images me parviennent. Je clique. Elle fait la roue sur une plage. Cheveux blonds caressant le
sable. Je fais glisser, j’agrandis, je mets le son. La fille de mon cousin se relève, me regarde et salue.
J’entends son rire résonner. L’image se fige, elle sourit et je valide. Il est dans la rue, il parle vite
mais très distinctement. Ses yeux brillent. Il porte l’uniforme vert de son école et tient un micro
devant lui. Il place sa main sur le cœur, il pointe son doigt vers l’écran, il touche le front du revers
de sa main et il salue. L’image se fige, il sourit et je réalise qu’il n’est plus là.

On aimerait croire au pouvoir des images. La plage la rue la roue le grand écart le micro l’uniforme
la main sur le cœur… La fille de mon cousin est vivante. Awni est dans la rue il parle vite mais très
distinctement ses yeux brillent il porte l’uniforme vert de son école il est vivant dans un présent éternel. On sait qu’il est mort car il ne grandira plus. La réalité se fragmente, je like pas.
Les bombes continuent de tomber avides sur les rues vides de Gaza.

*

La vidéo tourne en boucle sur youtube. Awni est dans la rue il parle vite mais très distinctement ses
yeux brillent il ( ) Abo Flah est populaire, à lui seul, il comptabilise plus de 34 millions d’abonnés
sur youtube. Gros plan sur son visage quand il visionne la vidéo d’Awni. Il m’avait écrit, il y a
longtemps. Je découvre son message seulement aujourd’hui. Awni tient le micro dans sa main, il
parle vite mais très distinctement : mon but est d’obtenir 100 000 vues. Awni voulait devenir
youtubeur comme Abo Flah. Plus tard peut-être développeur informatique. A l’écran, Abo Flah
pleure. Ses yeux se mouillent, sa bouche se tord. Il se lève, revient. Ses joues brillent, sa voix se
brise. Aidez-le à avoir ses 100 000 vues, il le mérite. Likez !

*

Sur la page instagram, s’ouvre un album de portraits en couleurs. Tête foulard vert inclinée vers la
droite. Le chat dans ses bras. 433 likes. Elle embrasse sa fille. Foulard noir foulard blanc. 322 likes.
Elle a des tresses, sourcils épais. Uniforme à carreaux bleu et rouge sur chemise blanche. 212 likes.
Pull de laine bleu canapé rouge. Genoux repliés. Dans la main une bougie. 219 likes. Bouclettes et
petit nœud. Regard en fentes de lune. Sourire et dents de lait. 306 likes. Yeux noirs sourcils tatoués.
Foulard rose lèvres assorties. 96 likes. Fils dans ses bras. Elle est de dos il la regarde. 518 likes. Il
est debout. Chambre d’enfant petits cadeaux. Guirlande dorée. Congratulations. 250 likes. Quatre
pattes sur la plage. Petite main grattant le sable. 295 likes. Sérieux. Brassard de presse bleu. Barbe
taillée. 220 likes. Il est en blanc, elle est en bleu. Lunettes de soleil. Barrette dans les cheveux. Main
dans la main. 400 likes. Je fais glisser. Mon doigt s’arrête. Je like ?

*

Ma mère n’est pas croyante. A la Toussaint, pourtant, elle me demande de nettoyer la tombe. Ma
mère ne souhaite pas de fleurs à l’inverse de ma tante. A la Toussaint, la tombe est nettoyée et il y a
des chrysanthèmes sur la colombe en mosaïque. A-t-on besoin de fleurs, a-t-on besoin de signes
particuliers pour penser aux disparu·es? Sur les tombes du cimetière juif de ma vallée, il n’y a pas
de fleurs mais des petits cailloux gris. Sur le mémorial numérique dédié aux personnes tuées par les
bombes à Gaza, il n’y a pas de fleurs, il n’y a pas de petits cailloux gris. Il y a des likes. Tout comme sous la photo de ma petite cousine faisant la roue sur la plage. Je like je pense à vous, je like bravo,
je like trop forte, je like trop triste, je like encore, je like arrêtez, je like je ne vous oublie pas, je
like j’ai vu et puis j’oublie. Un même signe suffit-il à dire tout cela, la vie, la mort, la joie et la
douleur en même temps ?
Parfois il y a des commentaires en anglais ou en arabe. Coeur brisé mains jointes. Habibi, il y a une
année exactement, tu me tenais la main pour me soutenir dans le travail. Coeur brisé. Ils ont tué ces
sourires. Coeur brisé. Torrent de larmes. Je suis désolée c’est trop déchirant. Mains jointes. Visage
en larmes. Il était le fils de chacune de ses tantes. Visage en larmes. Repose en paix. Mains jointes.
La personne qui avait posté ce souvenir vient d’être tuée avec son fils ainé. Coeur brisé. Torrent de
larmes. Quelle tristesse. Coeur brisé mains jointes, deux signes laissées en commentaire comme un
petit cailloux gris déposé sur une tombe. Coeur brisé mains jointes, tristesse et recueillement.

*

A l’écran, ses yeux se mouillent sa bouche se tord, se joues brillent, sa voix se brise, Abo Flash
pleure en direct en découvrant que Awni lui avait envoyé un message de son vivant auquel il n’avait
jamais répondu. Ma fille me dit d’un ton blasé, oui, c’est ce qu’on appelle le sadfishing.
Littéralement : pêche à la tristesse. Ma fille rajoute, sur Snap des filtres existent pour ça. Tu les
actives et on te voit paraître bouleversé à l’écran. Tu savais pas ? Le sadfishing c’est un truc à la
mode en ce moment.
Pour cette vidéo, Abo flash totalise 8 millions de vues. Qui meurt qui pleure qui active son filtre ?
Quel est le visage de la réalité ?

*

Abo flash s’effondre en regardant Awni et sa cote de popularité remonte. On utilise les morts, c’est
ce qu’on entend dire, c’est la guerre des images. Emilia 5 ans, otage du Hamas depuis le 07/10/23,
ramenons-les à la maison. Kenzie 11 mois, martyre palestinienne. Sourire contre sourire, petite
main contre petite main. Certaines images justifient l’offensive. D’autres justifient la riposte. Tour à
tour déversoirs, arguments, motifs d’indignations, armes idéologiques. Leur image serait-elle
simplement ceci, une pochette vide, remplissable à souhait ?
Et pourtant certainement qu’elles n’aimaient pas entendre rugir les grosses voix au-dessus de leurs
têtes. Les enfants, on le sait bien, préfèrent toujours mieux s’endormir au chant de leurs mères dans
le doux murmure du vent.

*

A l’écran, les images défilent. Autres visages Autres roues Autres sourires Autres petites mains
Autres morts Autres fiançailles avortées Autres revers de justice Autres signes creux Autres
montées des eaux Autres élections Autres crises éludées Autres processus en cours Autres porte-
paroles autoproclamés Autres négociations entamées Autres lois Autres confessions Autres corps
mis à nu Autres chansons déclamées Autres syndromes visibles Autres déclarations sans fondement
Autres confusions de langages Autres idées folles Autres revirement Autres ralliements Autres
urgences à traiter Autres tout Autres riens. Je scrolle je swipe je balaie je fais glisser. Ma fille dit,
c’est comme sur Tinder, l’image te plait tu swipes à droite, elle ne te plait pas tu swipes à gauche, il
n’y a pas de retours en arrière possible, tu swipes à gauche, ça part aux oubliettes. A l’écran les
images défilent. Israël ou le Hamas, qui est le véritable gagnant? Leurs noms, leurs visages, swipés
à gauche, définitivement perdants. Où sont-ils donc passés ? Dans quelles oubliettes numériques ?

*

Ils restent connectés. Les morts. Ils nous envoient des messages. Abo flash découvre la vidéo de
Awni alors que celui-ci vient d’être tué par une bombe. Leur compte court encore. Les morts. Leur
messagerie reste active. J’ai reçu un message d’elle me demandant d’être son amie sur Facebook
alors qu’elle était ( ) Je n’avais plus de nouvelles, j’ai laissé un vocal sur sa boite. Personne ne
m’avait prévenu qu’il était ( ) Pour mon anniversaire, j’ai eu un message de sa part. Cela faisait
six mois qu’il était ( ) Son message était resté dans mes spams, je l’ai ouvert, une semaine
auparavant j’apprenais qu’elle était ( ) Elle m’avait envoyé une vidéo d’elle et son fils, je n’avais
pas pu la regarder avant d’apprendre qu’elle était ( ) Ils restent connectés. Les morts. Leurs
numéros s’affichent sur nos répertoires. Ils nous souhaitent nos anniversaires. Ils nous envoient des
messages, des chansons, des vidéos. Les petites mains, les sourires, les voix fluettes, les voix
rauques, les baisers lancés en avant, les rires joyeux, les à plus tard, à très bientôt, on s’appelle vite,
je pense à toi, à très bientôt. Comment distinguer une image vive d’une image vide ? Comment ne
pas être piégés par les leurres ? Comment ne pas laisser grandir les fantômes ?

*

Le monde est déréglé. Les ombres sont blanches sur le sol blanc. Les pages sont vides. Les lettres
tombent. Les forêts poussent à l’envers. Dans le ciel, les étoiles sont alignées en ordre serré. Cela se
passe dans l’Ecoute-au-porte, un album imaginé par Claude Ponti. Une tortue dit à Mine : « c’est à
cause d’une histoire… Une histoire très ancienne qui doit toujours être racontée entièrement… elle ne
doit jamais s’arrêter… Aujourd’hui, quelqu’un s’est endormi en la lisant (…) Je n’en peux plus… le
monde devient si lourd… Il faut remettre l’histoire en route, il faut…»
Roshdi saute à pieds joints sur un château de sable grimpe sur une échelle de fer regarde ses photos
à l’arrière d’une camionnette fait un geste de la main saute sur un château de sable grimpe sur une
échelle regarde ses photos fait un geste saute grimpe regarde fait saute grimpe regarde fait ( )
L’histoire s’est arrêtée dans un présent intemporel. Il n’y a pas d’avant. Il n’y a pas d’après. L’écran
bégaie, le disque dur est rayé. Les images ont besoin d’être raccrochées les unes aux autres pour ne
pas devenir des leurres. Comment réinitialiser le process pour remettre en route nos récits ?

*

Sur le net, en ce moment même, des pages s’ouvrent sur lesquelles des gens écrivent des souvenirs.
Faisons en sorte que ce mémorial devienne un lieu de deuil et d’apaisement. Habiba sourit.
Lorsqu’on swipe sur sa photo, l’histoire de Habiba apparait à l’écran. Sa mère raconte : « Habiba est
une petite fille très gentille, très sensible. Elle peut résoudre des équations en quelques secondes.
Son amour pour son père, sa mère, son frère est sans limite, Habiba est une véritable donneuse de
câlins. Elle adore les bébés, elle les porte, elle les câline, elle leur chante des chansons. Le
septième jour de guerre, elle était calme. Elle a brossé ses cheveux avec des pinceaux enduits de
peinture et elle a dit : je suis une artiste. Une heure après elle était morte. Elle avait dans les mains
un pinceau de couleur et pas de pistolet. Habiba est une petite fille avec beaucoup de rêves. »
Docteur Samira se préparait à fêter son mariage, Nour et Hanin attendaient un bébé, Adam adorait
le basket-ball, Misk sentait l’odeur des falafels, Sayel adorait les fleurs de jasmin, Avidan aimait
danser, Shaimaa avait brillamment réussi son examen, Reem adorait l’hiver, Naomie était
esthéticienne, Aya et Abood aimaient picniquer sur la colline, Salma vivait en Jordanie, Roshdi était
journaliste, Awni rêvait d’être youtubeur, Kenzie n’apprendra jamais à nager

( ) repose en paix repose en paix repose en paix repose en paix.

Pour une poignée d’histoires racontées, beaucoup d’images en débris, flottant dans le net comme une
nuée d’astéroïdes à la dérive. Sommes-nous assez de conteuses et de conteurs? Parviendrons-nous à
relier la mémoire des disparu·es ?

*

Il faut le temps. Il faut le temps que la mère de Habiba puisse apprendre à raconter l’histoire de sa
fille au passé. Que le père de Yousef puisse s’écarter pour pleurer. Que la mère d’Aya et Abood
puisse dire jusqu’au bout les prières. Que l’épouse de Roshdi aide sa fille à souffler sa première
bougie. Que Dania puisse apprendre à conjuguer au futur l’absence de son père. Que la petite sœur
de Sayel replante un buisson de jasmin.
Pour le deuil, il faut du temps.
Sans la mitraille des bombes, sans la pression des flux, il faut du temps.
Sans le choc des images vides, sans l’insoutenable vacarme de l’oubli, il faut du temps.

Arrêtez la guerre

s’il vous plait, arrêtons-nous !

Myriam Dhume-Sonzogni
https://myriades.xyz

_________________
Ce texte s’inspire des photographies et des histoires racontées sur le site :
https://www.instagram.com/palestinememorial

Les murs ne protègent plus

Les murs ne protègent plus

Thekla – shakoul 1

Ma fille a peur d’être kidnappée.
La nuit, vois-tu,
le jour aussi,
les murs ne la protègent plus.
La pierre, la brique, le béton et la porte de bois,
les verrous, barillets, cylindres et serrure,
la nuit vois-tu,
le jour aussi,
les murs se tordent
de la douleur de n’être plus,
pas même l’illusion d’un abri.

Les mères voudraient reprendre l’enfant dans leurs ventres.
La nuit, vois-tu,
le jour aussi
les murs explosent sous l’impact des bombes.
Les mères accouchent
de gravats, d’ossuaires et de cendre.
La nuit vois-tu,
le jour aussi,
des enfants pleurent
sous les murs de leurs maisons
éventrées.

Nos ventres s’écroulent ou se dissolvent.
La nuit vois-tu
le jour aussi,
nous sommes des mères
et nous marquons
le corps de nos enfants
pour retrouver leur trace
dans la forêt des murs
calcinés.

Ma fille ne sera pas kidnappée.
Ailleurs, les murs avalent
les corps d’enfants démembrés.
La nuit vois-tu,
le jour aussi,
nos ventres crient.
Y a-t-il pire catastrophe
que celle d’effacer le nom
de nos enfants massacrés ?

Myriam Dhume-Sonzogni
5 novembre 2023

_____________________________
1. « En français ou en anglais, on souligne parfois qu’il n’existe pas de mot pour désigner une personne qui a perdu son enfant, un équivalent du mot « orphelin » pour un parent, tant cette situation n’est pas dans l’ordre des choses. Il se trouve cependant que ce mot existe dans deux langues, l’arabe où il se dit thekla, et l’hébreu où il se dit shakoul. Pour éviter que ces deux mots ne deviennent des lieux communs, le seul moyen est d’arrêter aujourd’hui la vengeance en cours à Gaza, quelles que soient les atrocités qui l’ont déclenchée et les raisons plus anciennes qui ont pu catalyser ces dernières. » Médiapart/ 4 novembre 2023

écopoétique

L’écopoétique au juste c’est…?

«Une manière de faire monde en se mouvant et en résonance avec les autres forces du vivant {qui} accorde une place éminente à une diversité de savoir-faire. Appréhender ce qui {est} caché et ramener l’invisible à la portée des humains : tel {est le} but. (…) Du reste, apprendre {consiste}surtout à se mettre à l’écoute, y compris des paysages et de leurs environs, du relief et des lieux sacrés, des lignes et des franges, de la ronde des saisons, de la myriades des sons et des images et de la glèbe, des plantes et des insectes et des oiseaux. Ne {s’agit-il} pas, avant tout de décrypter les indices de vie, les mille sentiers du vivant, de capter les flux de vie, et d’en assurer la redistribution le long de différentes chaines minérale, botanique, zoologique, psychique, biologique et organique?»

Je remercie Achille Mbembe pour ces mots extraits de : La communauté terrestre. Je ne définirais pas mieux l’écopoétique.

Les textes qui suivent, sont une tentative de raconter de nouvelles façons d’être au monde qui nous impliquent, nous concernent, nous dépassent et nous débordent. L’écopoétique c’est peut-être ça? Une manière d’irriguer des formes d’alliances qui nous rendent autres. J’appelle cela l’impérieuse poussée des hybridations.

Contribuer à cette contamination de la parole,

nourrir l’énergie des semailles,

j’y crois.

Des histoires d’arbre

Des histoires d’arbre – PDF

ateliers d’écriture proposés par Myriam Dhume-Sonzogni.

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Picorage poétique

Picorage poétique – PDF

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Entrez dans la ronde des Haïkus

Entrez dans la ronde des Haïkus – PDF

ateliers d’écriture proposés par Myriam Dhume-Sonzogni.

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Le King

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Au delà de son délire

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La moisson des mots

La moisson des mots

mars 2022

Que se passe-t-il lorsque les objets se révoltent ? Cela ouvrirait-il une brèche dans notre monde ? Voici la teneur de cette proposition d’écriture déclinée en plusieurs étapes et adossée aux écrits de Fred Vargas et à la chanson : « la tristitude » de Oldelaf.

Virage

L’homme ouvre la porte de la voiture, s’y engouffre, mets le contact et démarre. Il déboîte et prends sa route de montagne, passe devant la forêt sombre et sillonne dans le lacet de bitume qu’il connaît bien. Il braque à droite, freine, tourne à gauche, freine, tourne à droite puis descends prestement vers la vallée basse. A l’avant dernier virage, il freine d’un coup mais son pied reste bloqué en hauteur, la pédale ne répond plus. Surpris, l’homme donne de petits coups avec l’avant du pied, mais la pédale ne bouge pas.

La voiture accélère. Il braque à gauche puis à droite, il prend de la vitesse. Agrippé à son volant qui devient humide, il rétrograde mais la pente s’accentue et la voiture dévale.

L’homme appuie alors avec le talon plusieurs fois. Il tape, plusieurs fois, fait un geste brusque avec sa jambe. Il frappe et ses mains glissent une seconde sur le volant mouillé de stress.

Il s’accroche et contrebraque avec une main en une milliseconde.

La milliseconde suivante, il décide de débloquer la pédale avec la main droite, se contorsionne puis remonte avec la tête à la hauteur du volant pour voir la route et redescends.

Personne en face.

Cette fois, il transpire mauvais et a quelques spasmes de terreur. Le croisement est bientôt là et la voiture est en roue libre. Il plonge et arrache le plastique de protection de la pédale avec ses dents en un éclair. La voiture freine enfin.

Le carrefour est là.

L’homme rebondit sur son siège. La voiture ralentit et s’arrête. Les yeux de l’homme clignotent. Son cœur frappe dans sa poitrine. Il jure. Il s’essuie les mains sur son jean. Il frappe son volant plusieurs fois de plus en plus fort. Il tape la portière… Il appuie sur la pédale de frein, elle est souple. Il respire à fond, ses yeux clignotent. Enfin, il peut repartir.

Sous son pied, il sent nettement la pédale de l’accélérateur qui descend.

Pourtant, il n’a pas appuyé.

Un texte écrit par Agnès Villanueva dans le cadre des

ateliers d'écriture proposés par Myriam Dhume-Sonzogni.

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atelier du 13 août 2021

atelier du 13 août 2021

Ce qui suit n’est pas une réalité, c’est un essai de mise en page.
Merci de revenir prochainement.

À l’atelier du 13 août 2021 étaient participantes :

  • Denise
  • Aurélie
  • Henriette
  • Marie-Jeanne
  • et naturellement Myriam

 

Le thème du jour en était :

“Je mange des gaufres belges”

 

Les pontes ont été :

  • Denise :
    “j’en veux encore”
  • Aurélie :
    “Plus de sucre, c’est possible ?”
  • Henriette :
    “J’aime pas les gaufres”
  • Marie-Jeanne :
    “On boit rien avec ?”

 

Merci pour leur participation et leurs oeufs.

Au jardin des poètes

Au jardin des poètes

au jardin des poètes - Daniel Kieffer et Myriam Dhume-Sonzogni

MDS
Invitation au partage de Daniel Kieffer (épisode 20 de la série:  Daniel, tonton et Mylène)
07.04.2020

D’incertains jours s’improvisaient victuailles
à nos faims sourdes d’utopie véritable.

Nous respirons désormais à cycle inversé,
exhalant du fond de nos ventres
quelques bulles d’illusions
à déraison
salutaire.

Notre rêve en ce jour est un déplacement à vivre en première nécessité.

murmures

murmures

Nous en étions là — mur
en première ligne saturée des espaces clos — mur
dont nous ne savions plus — mur
géométriser les issues — mur —mur — mur.

Qu’étais-je d’autre sinon une feuille figée dans le temps de son envol ?

— mur — mur — murmure
des vents dormant dans l’interstice de nos défaites,
y croyons-nous encore ?
Nous sommes de la lignée des souffles
porteurs de bouleversements
aux destins asymétriques.

Délignant l’escarpement
murmures — de nos peurs
à l’envers du couchant.

Nous croissons dans les marges, côtoyant d’improbables soleils.

MDS
Merci à l’ami Martin Ott dont l’oeuvre — ici reproduite — a fait naitre le poème.
25.03.2020