La moisson des mots
mars 2022
Que se passe-t-il lorsque les objets se révoltent ? Cela ouvrirait-il une brèche dans notre monde ? Voici la teneur de cette proposition d’écriture déclinée en plusieurs étapes et adossée aux écrits de Fred Vargas et à la chanson : « la tristitude » de Oldelaf.
Virage
L’homme ouvre la porte de la voiture, s’y engouffre, mets le contact et démarre. Il déboîte et prends sa route de montagne, passe devant la forêt sombre et sillonne dans le lacet de bitume qu’il connaît bien. Il braque à droite, freine, tourne à gauche, freine, tourne à droite puis descends prestement vers la vallée basse. A l’avant dernier virage, il freine d’un coup mais son pied reste bloqué en hauteur, la pédale ne répond plus. Surpris, l’homme donne de petits coups avec l’avant du pied, mais la pédale ne bouge pas.
La voiture accélère. Il braque à gauche puis à droite, il prend de la vitesse. Agrippé à son volant qui devient humide, il rétrograde mais la pente s’accentue et la voiture dévale.
L’homme appuie alors avec le talon plusieurs fois. Il tape, plusieurs fois, fait un geste brusque avec sa jambe. Il frappe et ses mains glissent une seconde sur le volant mouillé de stress.
Il s’accroche et contrebraque avec une main en une milliseconde.
La milliseconde suivante, il décide de débloquer la pédale avec la main droite, se contorsionne puis remonte avec la tête à la hauteur du volant pour voir la route et redescends.
Personne en face.
Cette fois, il transpire mauvais et a quelques spasmes de terreur. Le croisement est bientôt là et la voiture est en roue libre. Il plonge et arrache le plastique de protection de la pédale avec ses dents en un éclair. La voiture freine enfin.
Le carrefour est là.
L’homme rebondit sur son siège. La voiture ralentit et s’arrête. Les yeux de l’homme clignotent. Son cœur frappe dans sa poitrine. Il jure. Il s’essuie les mains sur son jean. Il frappe son volant plusieurs fois de plus en plus fort. Il tape la portière… Il appuie sur la pédale de frein, elle est souple. Il respire à fond, ses yeux clignotent. Enfin, il peut repartir.
Sous son pied, il sent nettement la pédale de l’accélérateur qui descend.
Pourtant, il n’a pas appuyé.
Un texte écrit par Agnès Villanueva dans le cadre des ateliers d'écriture proposés par Myriam Dhume-Sonzogni. contact
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